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lundi 10 mars 2014

Éloge funèbre du Professeur SO Satta

Jacques BAULIEUX  -  5 mars 2014
 
M. le Professeur SO SATTA nous a quitté le 27 février 2014, dans sa 82e année.

Le Professeur SO SATTA est né à KAKDOL au Cambodge en 1931. Son père était gouverneur de province. La famille comportait sept enfants, tous marqués par la culture française. Lui-même, après de brillantes études, passa son baccalauréat de Sciences expérimentales, en français, au lycée Descartes de Phnom-Penh.

En 1953 il vint en France et intégra l’Ecole de santé militaire, 55e promotion. Il devint d'ailleurs médecin-capitaine de l'armée de l'air française. Il obtint son diplôme de doctorat en médecine en 1962.

En 1963 il épousa à Lyon, Mlle Marie-Thérèse Faivre, d'origine bourbonnaise. Elle lui donna deux enfants Thirong-Patrick et Linda-Sylvie, qui a elle-même deux filles Laura et Caroline.

Le médecin capitaine SO SATTA affecté dans l'armée de l'air, fut autorisé à finir son Assistanat-Chefferie de travaux à la Faculté de médecine de Grenoble, où il apporta son concours à l'enseignement de la physiologie.

En 1965, il fut nommé Professeur agrégé en médecine : section physiologie exploration fonctionnelle.

Il quitta alors Grenoble et retourna dans son pays pour enseigner à la Faculté de médecine de Phnom-Penh, où il a assuré également la fonction de Secrétaire général, de 1963 à 1971. L'enseignement s’y faisait alors en français. La Faculté de médecine de Phnom-Penh était un joyau de la médecine française en Extrême-Orient. Elle le restera jusqu'à l'apocalypse Khmer Rouge.

Dans son pays, les valeurs universitaires du Professeur SO Satta, son goût pour la chose publique, son sens de l'organisation, ont été vite reconnus et appréciés.

Il fut nommé en 1971, Ministre de la santé publique, pendant la difficile période de la guerre du Vietnam, et le restera jusqu'en 1973. Il participa alors très activement aux soins aux blessés, à l'organisation des hôpitaux de campagne.

Il quitta le Cambodge en 1972, envoyé par le gouvernement cambodgien comme Ambassadeur représentant permanent du Cambodge auprès de l'Office des Nations Unies à Genève et il le demeura jusqu'en 1975.

Le 17 avril 1975 avec l'entrée des Khmers rouges dans Phnom-Penh, le Cambodge a basculé dans le néant. Une utopie meurtrière fit environ 2 millions de morts et a laminé et anéanti la culture cambodgienne.

La mère de M. SO Satta a été déportée dans la région de Pursat. Il ne l'a jamais revue, ainsi que de nombreux membres de sa famille.

Affrontant ces circonstances difficiles, le Professeur SO Satta choisit en 1975, de demander l'asile politique à la France, ce pays qui lui avait donné son éducation,  qu'il rejoignit comme « réfugié politique ».

Il s'installa à Lyon comme médecin généraliste libéral, quai Pierre Scize, en association avec le docteur Pierre Ludin.

Il obtint en 1976 un contrat de Professeur-attaché à temps partiel, dans le Laboratoire d'exploration fonctionnelle respiratoire de Pédiatrie, de la Clinique médicale infantile du Professeur Robert Gilly, au Centre hospitalier Lyon Sud

Mais la réintégration fut difficile, comme pour la plupart des réfugiés, et son agrégation ne fut reconnue que plus tard, grâce à Mme Simone Veil.

De 1975 jusqu'à la date de sa retraite en 1996, le Professeur SO Satta a fait de la Salle de mesures mécaniques pulmonaires du Service de pédiatrie au Centre hospitalier Lyon Sud, un Laboratoire d'exploration fonctionnelle respiratoire du nourrisson et de l'enfant,  Centre de référence reconnu en Europe.

Les travaux de recherche portèrent non seulement sur la mucoviscidose, mais encore et surtout sur les pathologies bronchiolaires des jeunes enfants.

En 1977, lui fut reconnue la nationalité française.

C'est à partir de ce moment que commença véritablement l'Action humanitaire, culturelle et sociale de M.SO Satta :

-Les réfugiés cambodgiens arrivaient « à flot » en France, spécialement dans la région Rhône-Alpes, où ils furent logés dans des centres d'accueil. Ils ne connaissaient ni les habitudes de vie, ni les mœurs, ni les coutumes locales. Il fallait aider leur installation et les intégrer. M. SO Satta participa activement à la formation des travailleurs sociaux, par des séminaires, des rencontres et des actions de terrain. Aujourd'hui 2500 familles vivent dans notre région et pour la plupart se sont parfaitement intégrées. Le mélange est parfait, voir exemplaire. La délinquance est quasi nulle. Beaucoup d'enfants ont fait des études de niveau élevé et occupent des postes de haut niveau dans la région. Il y a peu de chômage chez les cambodgiens. Tout cela, on le doit certes à la France, mais aussi et beaucoup à l'aide apportée par le Professeur SO Satta.

- En 1988 il fonda l'Association bouddhiste Bouddhi Sahapan. Avec l'aide de son épouse, a pu être  installé un lieu de culte bouddhiste dans un petit appartement de la Duchère. Puis a été faite l’acquisition d'un lieu de culte à Saint Genis-Laval, afin d'assurer la présence permanente des moines bouddhistes.  Il y a actuellement deux bonzes et ce lieu de culte fonctionne parfaitement bien. C'était une de ses grandes fiertés.

-Après une importante intervention chirurgicale cardiaque, en 1998, il fonda une première Association de développement médical et aide humanitaire au Cambodge (ADHMAC).

En partenariat avec l’Université des Sciences de la Santé de Phnom Penh, a été mis en place le Domaine Jayavarman VII, Pedagogic@, une technique d’enseignement assisté par ordinateur ou e-learning.

-Puis quelques années plus tard, pour des raisons d’ordre interne, a été crée une structure associative
« La  Force Européenne pour le Transfert des Technologies Médicales
et Humanitaires » (L@FETT-MH),
pour venir en aide aux Hôpitaux et à la Faculté de médecine de Phnom-Penh. En effet, dès l'an 2000, l'arrivée de médecins stagiaires cambodgiens dans les différents hôpitaux de la région Rhône-Alpes, nécessita la création d'une structure associative d'accueil des étudiants et d’entraide à la Médecine cambodgienne. Cette association réunit un grand nombre d'entre vous, résidants cambodgiens dans la région et des volontaires français, motivés par le désir d'aider le Cambodge. Les actions de cette Association sont multiples. Elle envoie régulièrement au Cambodge des containers de matériel médical, pédagogique et informatique. Le denier container envoyé à l’automne était le quatorzième…

Elle a participé à :

      1. La rénovation matérielle du service de réanimation de l'Hôpital Preah Sihanouk

      2. La création d'un Service de Pneumologie à l'Hôpital Preah Kossamak. L@FETT-MH a fourni des lits et des matériels d'hospitalisation, envoyé des matériels d'exploration fonctionnelle respiratoire, un laboratoire complet et elle a aidé à la formation des pneumologues cambodgiens à Lyon, qui exercent maintenant dans cet Hôpital.

      3. L'équipement d'une consultation de gynécologie-obstétrique de l'Hôpital de Kompong Cham.

      4. L'achèvement de l'équipement du centre d'hémodialyse de l'Hôpital Calmette avec un envoi de 25 reins artificiels, en collaboration avec le Dr MY Horn et le Pr.HENG Tay Kry.

      5.  L'équipement d'une salle d'opération complète à l'Hôpital de Kompong Trabek, en collaboration avec le Très Vénérable YOS  Hut Khemacaro.

      6. Puis, plus récemment, l'envoi de divers matériels , en particulier l’envoi et le montage d'une cabine  de compression MODUL’AIR à l'hôpital provincial de Battambang, avec l'aide des Clubs Rotary de Mâcon et Chambéry. Plusieurs missions de médecins, d'infirmières, de techniciens, et de membres de l'Association « Electricien sans frontières » ont été organisées à Battambang, pour moderniser et équiper cet hôpital. La quatrième mission doit partir en mars prochain.

Je remercie tous ceux qui, associations, clubs et particuliers, par leurs cotisations et leur dons, ont participé au bon fonctionnement de l’Association.

L@FETT-MH est certainement  le plus bel héritage que nous a laissé le Professeur SO Satta. Très récemment, le docteur Stéphane Workineh en a été nommé le nouveau Président. Nous avons pris l'engagement de l’aider à poursuivre son œuvre, dans l'esprit qui a été le sien.

La vie de M.SO Satta n'a pas été un long fleuve tranquille. Son destin a été plutôt comparable à un torrent impétueux.

J'ai eu la chance exceptionnelle de collaborer et de travailler avec lui : c'était un modèle de rigueur, de volonté, d'humanisme, de générosité et de droiture. Il était parfois un peu rigide et n’aimait pas les écarts et le laisser-aller.  Il m’a beaucoup aidé. Il m’a appris le Cambodge, ses coutumes et ses traditions. Avec une voie douce et sans excès, il savait faire comprendre et aimer son pays. J’écoutais toujours ses conseils, que je sollicitais souvent. Je lui dois beaucoup.

Je le rencontrais fréquemment depuis quelques années chez lui, en fin d’après-midi. J’ai été très sensible à l’accueil de son épouse Marie-Thérèse, qui connait parfaitement l’Association et la Communauté cambodgienne. Vive et souriante, toujours accueillante, elle nous faisait volontiers des suggestions judicieuses et très utiles. Nous aurons certainement  besoin de ses conseils, dans l’avenir.

L’engagement de Mr. SO Satta pour la formation de la jeunesse cambodgienne et les liens étroits qu'il a su maintenir entre les communautés médicales cambodgiennes et françaises, en pleine collaboration avec les responsables de l’Université des Sciences de la Santé de Phnom Penh, ont soulevé l'admiration de tous.

Par sa distinction et peut-être aussi, ses beaux cheveux blancs, il attirait le respect. D’ailleurs, j’ai pu constater que tous ses anciens élèves du Cambodge, avaient  pour lui une grande reconnaissance et un profond respect. Les témoignages qui parviennent de toute part actuellement, le confirment totalement.  Se recommander de lui, au Cambodge, ouvre toutes les portes.

Sa présence constante pour aider à l'intégration de la communauté cambodgienne, a marqué les esprits et sa disparition laisse un grand vide.

 Ce sont toutes ces qualités qui lui ont valu la reconnaissance et les nombreuses distinctions qui lui ont été accordées au cours de sa vie :

- Commandeur de l'Ordre du Monisaraphan du Cambodge,

- Chevalier de l'Ordre Royal du Cambodge,

- puis, plus récemment, Chevalier de la Légion d'Honneur française, en 2007, distinction dont il était très fier.

J'ai pu l'accompagner, avec quelques amis proches,  tout au long des derniers mois de sa vie, et même de ses derniers jours, alors qu’il n’avait plus qu’un faible souffle de vie. Il était parfaitement entouré par les siens. Il était tout à fait conscient de l'issue finale de la grave maladie dont il était atteint. Il a affronté le mal avec une force et une dignité exemplaire.

Pour tout ce qu'il nous a apporté et qu'il laisse derrière lui, comme héritage, nous lui devons tous une reconnaissance infinie.

Jacques BAULIEUX
Consul Honoraire du Royaume du Cambodge
 
 
 
 
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